Jalons pour une définition des territoires wallons, 4. Les sous-régions d’Egmont-Stuyvenberg (1977-1978)

 Namur, le 8 février 2013

Le Pacte d’Egmont, aussi appelé Pacte communautaire, est le fruit de négociations qui se déroulent au Palais d’Egmont à Bruxelles au lendemain des élections législatives du 17 avril 1977. Le Premier Ministre Léo Tindemans ainsi que les représentants des partis politiques qui vont former la majorité gouvernementale se réunissent du 9 au 24 mai pour élaborer ce Pacte qui sera annexé à la déclaration gouvernementale du 7 juin 1977. Ce sont les deux secrétaires d’État à la réforme des institutions, Ferdinand De Bondt (CVP) et Jacques Hoyaux (PSB) qui ont été chargés de traduire cet accord politique en termes juridiques. Les zones de flou étant propices à des interprétations divergentes entre ces deux Cabinets, le Pacte d’Egmont est complété, affiné, par les négociations entre des délégués des partis politiques (Comité des Vingt-Deux) qui se tiennent du 24 septembre 1977 au 23 février 1978 au Château du Stuyvenberg et permettent de réaliser les arbitrages indispensables. Un accord en sort qui est présenté par le Premier ministre Léo Tindemans et adopté au Parlement le 28 février 1978. Un projet de loi concrétisant le Pacte communautaire et les accords du Stuyvenberg est déposé au Parlement début juillet 1978.

Des organes d’exécution non politiques

Dans le but d’alléger les tâches des communes et de rationaliser le secteur des intercommunales, le Pacte d’Egmont prévoit la création de sous-régions [1] qui doivent être mises en place en 1982 ou 1983. L’idée était inscrite comme hypothèse dans le programme de réforme de l’État que le PSB avait déposé à la veille des vacances parlementaires de 1976 après l’avoir fait approuver par ses fédérations flamandes, wallonnes et bruxelloises [2]. Elle avait également été préparée au sein de la SDRW dans le cadre des études préalables au Plan régional d’Aménagement du Territoire wallon, ainsi qu’à la section wallonne du Bureau du Plan [3]. Le Parti social chrétien et le CVP soutiennent les sous-régions comme ultime concession à la suppression des conseils provinciaux, pour que ces pouvoirs intermédiaires constituent, outre les communes, le réceptacle des compétences des provinces ou des intercommunales [4]. Sortie des discussions du palais d’Egmont, la sous-région ne se veut pas pas un pouvoir politique, mais un pouvoir d’exécution situé entre des communes fortes et dotées de larges compétences (y compris celles anciennement exercées par les provinces en tant que pouvoir décentralisé) et une région autonome et souveraine dans de nombreux domaines. Elles ne disposent donc d’aucun pouvoir réglementaire. Il faut observer que si la loi a consacré les notions d’intérêt communal et d’intérêt provincial, les négociateurs ont définitivement établi qu’il n’y a pas d’intérêt sous-régional [5].

Bien qu’organes d’exécution non politiques, les sous-régions se devaient toutefois d’être également des organes démocratiques. C’est pourquoi, un conseil de sous-région devait être organisé. Ses membres devaient être nommés sur base des communes. Lors des élections communales, des listes de sous-régions devaient être déposées sous le parrainage de listes communales. Ce parrainage devait être assumé par les listes déposées dans les différentes communes constituant la sous-région. Les voix en faveur de ces listes devaient être regroupées après le vote pour permettre de constituer un conseil de sous-région par un système innovant à mi-chemin entre élections directe et indirecte. Dès sa constitution, le conseil de sous-région devait désigner en son sein un président ainsi qu’un bureau selon le mode en vigueur pour la désignation des bureaux des CPAS par les conseils communaux, c’est-à-dire en assurant une représentation proportionnelle aux tendances politiques présentes au sein du conseil de sous-région. Certaines sources évoquaient un exécutif de cinq personnes [6]. Il faut noter que, s’il n’y avait pas d’incompatibilité entre un mandat communal et un mandat à la sous-région, il y avait incompatibilité entre la fonction de conseiller de sous-région et les mandats de membre de la Chambre des Représentants et de conseiller régional.

Des délimitations différentes en Flandre et en Wallonie

 Des divergences entre Flamands et Wallons sont apparues quant il s’est agi de réaliser le découpage en sous-régions, les premiers préconisant une organisation suivant les arrondissements électoraux, les seconds souhaitant s’appuyer sur une délimitation socio-économique de la Wallonie au travers des plans de secteur. Une délimitation différente au Nord et au Sud fut donc décidée. La Région flamande devait comprendre 11 sous-régions et la Région bruxelloise une sous-région dont les tâches seraient exécutées par les organes de la Région bruxelloise. Malgré le souhait de certains négociateurs francophones, en particulier du Parti social chrétien, de donner aux sous-régions une ampleur comparable aux provinces, voire d’en reconstituer certaines, comme le Luxembourg, une répartition de la Wallonie en 13 sous-régions fut réalisée en utilisant les plans de secteur, à l’exception de la sous-région germanophone, créée quant à elle sur base linguistique. Il faut noter que le projet précisait que plusieurs sous-régions pouvaient s’associer pour réaliser ensemble certaines tâches limitées.

Source : Archives de l'Institut Destrée, Fonds Jacques Hoyaux, Réforme de l'Etat 1978-1979, Egmont-StuyvenbergRéalisation DGO4 (Pascal Maes) - Institut Destrée

Source : Archives de l’Institut Destrée, Fonds Jacques Hoyaux, Réforme de l’Etat 1977-1978, Egmont-Stuyvenberg – Réalisation DGO4 (Pascal Maes) – Institut Destrée

 Les sous-régions conçues dans le cadre du Pacte d’Egmont et des accords du Stuyvenberg ne disposaient donc que d’attributions d’exécution, exercées sous le contrôle de la Région. Ces attributions étaient de quatre types :

– celles déléguées par la loi, notamment certaines attributions confiées par les communes aux intercommunales à buts multiples. La liste de ces compétences devait s’inspirer de celle figurant dans la loi du 26 juillet 1971 sur les agglomérations et sur les fédérations de communes ;

– celles librement déléguées par les communes, la région, la communauté ou l’État ;

– celles transférées des provinces aux sous-régions, sachant qu’une partie importante de ces attributions devait être transmises aux communes ;

– celles assumant un rôle d’organe consultatif privilégié pour diverses matières comme l’aménagement du territoire, les communications, etc., lorsque le problème porte sur un territoire excédant celui d’une commune [7]. Il était également annoncé que les attributions provinciales (enseignement, soins de santé, etc.) devaient être transférées aux communes qui auraient eu le choix entre leur intégration communale ou leur transfert à la sous-région. Le financement des sous-régions devait être assuré sans fiscalité sous-régionale, mais par des rétributions pour services rendus versés par les pouvoirs déléguants (communes, région, communauté, État), par des subventions de ces pouvoirs, par des donations et legs, par des emprunts souscrits avec la garantie des communes, de la Région ou de l’État, et enfin par des contributions des communes aux frais de fonctionnement selon une répartition fixée par la Région.

Les liens avec les intercommunales et les communes

Les intercommunales, qui exerçaient des tâches à objectifs généraux par délégation des communes, devaient être reprises, ainsi que leur patrimoine et leur personnel, par les sous-régions. Les communes gardaient la liberté de s’associer pour des tâches spécifiques ne relevant pas de la compétence obligatoire des sous-régions, mais un avis de la région pour créer de nouvelles intercommunales à objectifs obligatoirement limités devenait nécessaire. Une réforme de la loi de 1922 sur les intercommunales devait réaliser une plus grande démocratie interne au sein des intercommunales, limiter précisément leur objet ainsi que permettre la rationalisation et la coordination des intercommunales.

La dérobade du Premier Ministre Léo Tindemans à la Chambre, le 11 octobre 1978, faisait capoter le Pacte d’Egmont, les accords du Stuyvenberg et, par la même occasion, les sous-régions. Elles semblent disparaître. Elles n’émergent plus des discussions communautaires ni des lois d’août 1980. Le contexte socio-économique se modifie lui aussi [8]. La tentative de leur mise en place fin des années 1970 est particulièrement fascinante : avec la réalisation des plans de secteur, cette expérience représente probablement le plus grand effort politique d’organisation territoriale volontariste de la Région wallonne. On soulignera aussi ce moment de rapprochement entre des dynamiques administratives, de développement économique régional ainsi que d’aménagement du territoire.

 (A suivre)

Philippe Destatte

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[1] Qu’est-ce alors qu’une sous-région ? En 1972, un juriste aussi averti sur les questions régionales que Fernand Dehousse, les considérait comme des zones économiques. Annales parlementaires, Chambre des Représentants, 15 mars 1972, p. 488. A noter que Henri Deruelles, député de l’arrondissement de Mons et rapporteur de la loi sur les fédérations de communes et les agglomérations, considérait, le 28 mars 1973, qu’une sous-région était plus généralement une partie de région. Ibidem., 28 mars 1973, p. 1318. Enfin, en janvier 1975, Jean Gol secrétaire d’État à l’Ecole régionale wallonne indiquait au Parlement qu’il avait chargé ses services d’établir une étude des particularités de chacune des sous-régions wallonnes. Ibidem., 23 janvier 1975 p. 1322.

[2] Louis VERNIERS, Le citoyen dans la Belgique nouvelle,  p. 157, Bruxelles, A. De Boeck, 1976.

[3] René SCHOONBRODT dir., Etudes préparatoires au Plan régional d’Aménagement du Territoire wallon, Projet de création de sous-régions en Wallonie, 15 p. + cartes, SDRW, Décembre 1977. – Propositions pour une restructuration de la Wallonie en zones de développement et d’aménagement, Bureau du Plan, Section wallonne, 1977. – Voir Christian VANDERMOTTEN dir., Aires de coopération, Rapport final de la CPDT, p. 173, Namur, MRW, 15 décembre 2006.

[4] Charles-Ferdinand NOTHOMB, La vérité est bonne, coll. Politiques, p. 213, Bruxelles, Didier Hatier, 1987. Jacques Hoyaux confirme par ailleurs que l’idée des sous-régions était chère à André Cools comme moyen de suppression des provinces. Entretien du 9 janvier 2013. Néanmoins, dans le projet, les provinces en tant que telles n’étaient pas supprimées, sauf celle du Brabant qui devait être scindée ; les gouverneurs restaient en place avec une fonction de tutelle administrative. Les députations permanentes étaient supprimées en même temps que les conseils provinciaux. Du dialogue communautaire de l’hiver 1976-1977 au Pacte communautaire de mai 1977 (III), dans Courrier hebdomadaire, Bruxelles, CRISP, n° 783-784, 16 décembre 1977, p. 27-28.

[5] Archives de l’Institut Destrée, Fonds Jacques Hoyaux, Réforme de l’État, Egmont-Stuyvenberg, Groupes parlementaires, Rapport sur les négociations du Stuyvenberg,  28 janvier 1978, p. 11. – Bernard ANSELME, Les organes régionaux de décentralisation économique d’aujourd’hui et de demain, dans Socialisme, avril-juin 1978, p. 259-266.

[6] Egmont-Stuyvenberg : en pratique, ce qui va changer, dans Vers l’Avenir, 19 janvier 1978, reproduit dans Henri LEMAÎTRE, Les gouvernements belges de 1968 à 1980, Annexe XIV, Stavelot, Chauveheid, 1982. À noter que l’annexe XIII présente une carte des sous-régions.

[7] Pacte communautaire, p. 53, Bruxelles, Secrétariat d’Etat à la réforme des institutions, 1978.

([8]) Marnix BEYEN et Philippe DESTATTE, Un autre pays, Nouvelle histoire de Belgique, 1970-2000, p. 236sv., Bruxelles, Le Cri, 2009. – En avril 1980, l’Exécutif régional wallon a défini sept zones de rénovation économique : le Hainaut occidental, Mons-La Louvière, Charleroi, Namur-Brabant wallon, Luxembourg, Liège-Huy-Waremme, Verviers et décidé de la création de cinq agences de reconversion : Hainaut occidental (à Tournai), Namur-Brabant wallon (à Wavre), Luxembourg (à Arlon), Liège-Huy-Waremme-Verviers (à Liège). C’est le Conseil d’Administration de la SRIW qui a procédé à la nomination des responsables des agences. Dossier pour Wallonie 2000, CRISP-RTBF, p. 50, Bruxelles-Liège, 1982.

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